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| L'évolution de la pensée religieuse chez les méditerranéens | |
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ouedaggaï
Messages : 330 Date d'inscription : 14/04/2010 Age : 77 Localisation : BRETAGNE
| Sujet: L'évolution de la pensée religieuse chez les méditerranéens Dim 2 Juin - 21:46 | |
| L'évolution de la pensée religieuse chez les méditerranéens Conférence prononcée le 14 novembre 1951 par Maurice NENY, devant l'association « Amis de Fès ». ( le texte de la conférence m'a été donné par sa fille; je l'en remercie) L'ethnographe et l’historien n’ont jamais rencontré, aussi loin qu’ils aient poussé leurs investigations, de société qui ne fusse religieuse. Que l’Homme provienne, selon les théories de Lamarck d’une lente évolution de la cellule primitive ou qu’il soit l'oeuvre maîtresse, définitive et propre du Créateur au sixième jour, nulle part et en aucun temps il ne s’est contenté de vivre dans la quiétude relative sa destinée terrestre, partout et toujours il a tenté de se concilier, d’expliquer et d’atteindre ce qui le dépasse, le surnaturel. L’humanité prise dans son ensemble a prodigué et prodigue peut-être encore plus d’attentions, autant de loyaux et sincères efforts à l'accomplissement scrupuleux des rites, à l’observance des cultes qu’à la poursuite du gibier, qu’à la conduite de la guerre et de la politique, qu’à l’exercice de l’agriculture et des arts, pourtant objets concrets de ses préoccupations inéluctables. Qu’elle atteigne les hauts sommets spéculatifs auxquels l’ont conduite les doctrines monothéistes ou qu’elle soit purement utilitaire comme celle des Arapesh de Nouvelle-Guinée qui n’ont d’autre souci que d’échapper à la domination des Marsalai, élémentaux de fort mauvaise fréquentation, qu’elle ait uniquement forme médiumnique et divinatoire comme celle des chamans de Sibérie, qu’elle mette en action les forces de la magie ou qu’elle courbe ses fidèles devant la révélation d’ineffables mystères, la Religion, assurance de "l’homo sapiens" contre l’effroi que lui inspire la conscience de sa faiblesse et de sa précarité, s’est imposée à tous les temps et à tous les pays. Réalisons ce qui se passa dans l’esprit doué de mémoire et de raison de nos lointains ancêtres, issus d’aieux communs avec les primates ou chassés de l’Eden, errant en groupes misérables dans un décor tourmenté de la fin du tertiaire, lorsqu’ils réussirent à s'emparer du feu qu’alluma la foudre dans une savane desséchée et à le conserver. Ces êtres aux prises avec la nature hostile et qui ne pouvaient compter que sur la force et l’adresse de leurs muscles venaient d'asservir une entité surprenante, échappant aux lois de la pesanteur, indéfiniment extensible, partageable sans subir de diminution, susceptible de remplacer la bienfaisante action des rayons solaires et de mettre les fauves en fuite, soustrayant, en la boucanant, la viande à la putréfaction, si puissante qu’elle avait raison, en les fondant, de la dureté des solides tandis qu’elle anéantissait les liquides en une buée légère bientôt évanouie dans l’azur insondable, domaine d’un inconnu terrifiant qui l’avait, elle-même, vomie. La nature de cette puissance était si complexe qu’elle réchauffait délicieusement les doigts engourdis qui s’en approchaient mais brûlait atrocement ceux qui voulaient la saisir, qu’elle communiquait à la chair du gibier une saveur nouvelle et agréable mais consumait aussi les troupeaux d’aurochs et d’antilopes qu’elle était parvenue à cerner. La garde et l’utilisation de cette fille du dieu-soleil, héritière de ses propriétés bienfaisantes ou redoutables et dispensatrice de ses vertus, ne pouvait être confiée qu’à des hommes sages, officiant suivant des rites éprouvés qui furent les premiers prêtres d’un culte qui se perpétue chez les Indo-Iraniens, engendra chez les Grecs Hephaistos et Hestia, puis chez les Romains Vulcain et Veste, Svarojitch chez les Slaves, Chen-Noug en Chine, Atago au Japon et persiste encore dans la cité sainte d’Idriss II par la dévotion des confrères d’Ahmed ben Yusssef Moulay Miliana, peut-être descendants de ces "Majous" dont le temple prospère s'élevait à l'entrée du Remilah, à quelques pas de l'actuel pont de Bin El Mdoun. On comprend facilement que la certitude d’un rapport de dépendance entre le feu domestiqué et le soleil inaccessible, engendra la magie basée sur la loi de similitude – les choses semblables sont identiques - et sur la loi de contagion - celles qui ont été une fois en contact continuent à être liées-. C’est donc avec la plus parfaite logique, appuyée sur un raisonnement cohérent que les hommes de la préhistoire allumaient de grands feux pour hâter le retour du printemps et, par analogie, mimaient, recouverts de leurs dépouilles, la copulation des herbivores qu’ils chassaient, afin d’en accroître la multiplication. L’analyse des croyances qui sont encore celles de nombreux contemporains habitant l’Amérique, l’Océanie et l’Afrique nous permet de saisir le point de départ du sentiment religieux dans le coeur de l’homme primitif. Ce point de départ est le concept de "mana". Le "mana" est une vertu qui réside dans un objet quelconque, vivant ou non et lui concède de merveilleuses propriétés. Le feu est évidemment chargé de mana, mais l’eau, le minéral, certaines plantes, de nombreux animaux, les hommes en possèdent à un degré divers. Le mana est transmissible mais chaque être pris en particulier n’en peut recevoir, sans danger, plus que le lui permet sa capacité propre, laquelle sera augmentée pourtant par l'étude ou l’acquisition du savoir-faire. Il provient des dieux ou des esprits, il peut être induit par un rite convenable, il existe aussi naturellement. Il est assez semblable à la grâce, telle que la définit le Christianisme mais plus encore à la " baraka " des musulmans détenue par l’astre, la mer, la montagne, le cheval, la chamelle blanche, le basilic, le henné, l’aérolithe sacré qu’on vénère à la Mecque, l’insensé, le grand mystique, le chérif, le Sultan. Chez l'homme il est localisé surtout dans la tête, la chevelure et les vertèbres. Samson après avoir été tondu cessa d’être redoutable et l’on rasait le crâne des rois déposés. L’homme de qualité ne pouvait être supplicié que par décapitation, tout autre procédé aurait mis en péril l'exécuteur et les assistants. Le Chef possède, de par son état et son origine souvent fabuleuse, un potentiel de mana élevé. Il l’infusera, pour le bien commun de son peuple, dans la cérémonie propitiatoire, dans la décision administrative ou militaire. Il ne saurait donc être approché par n'importe qui, d’abord parce que la déperdition inconséquente de son mana est préjudiciable à la communauté dont il a charge et aussi parce que tout individu de basse extraction, à capacité limitée, mis en sa présence, risque autant que s‘i1 entrait en contact avec un conducteur d'électricité. Toute une hiérarchie de gens bien nés de prêtres idoines à se servir des rites d’officiers, de fonctionnaires, du très haut à l’infime, doit donc être intercalée entre le souverain et le vulgaire et plus encore la femme, que certains états physiologiques lient à la face matérielle de la nature, sage précaution qui enfante la notion de "tabou". La division en castes, des peuples de l’Inde n’a point d’autre cause et l’aventure,d’Esther à la cour d’Assuerus, exemple légendaire d’un tabou enfreint sans dommage, parut si prodigieuse aux Perses et aux Hébreux, qu’elle passa à la postérité. La ségrégation généralisée des femmes chez les Orientaux et leur expulsion du lit conjugal pendant la période menstruelle, découle de la même conception. Le tabou est donc une défense naturelle contre le sacré ou le maléfique, aussi dangereux l'un que l'autre. Le roi doit circuler à cheval ou en litière, s’isoler sur un trône, parfois se claustrer dans un palais mystérieux. S’il se mêlait à la foule, son pays, imprégné de trop de mana deviendrait rapidement inhabitable. L’ablution purificatrice doit suivre l'acte sexuel, l’accouchement, le meurtre, l’ensevelissement du cadavre. Mais ce qui est interdit à la plupart ne l'est pas à quelques-uns doués d’un pouvoir de réceptivité adéquat au danger ou protégés par les rites. Le Grand-Prêtre des Hébreux, seul, pouvait impunément pénétrer dans le Saint des Saints et la manipulation de l'Arche d'Alliance était réservée aux Cohen,fils d’Aaron. Oza ben Abinadab, qui n'appartenait point à cette lignée auguste, en fit la définitive expérience lorsqu'il tomba foudroyé pour avoir retenu, d’une main pieuse mais profane, cette Arche en rupture d’équilibre dans un mauvais chemin. L’inceste, éminemment tabou chez presque tous les peuples, ne souillait point mais, au contraire consacrait le Chef. En Egypte, les Pharaons seuls épousaient leurs soeurs qui, au même titre qu’eux descendaient des dieux et présentaient donc un caractère également sacré. Le mana pouvant imprégner les animaux, certains tabous alimentaires s'imposent. Les Sémites ne consomment point la chair du porc parce qu'Adon – mot qui signifiait en phénicien: le maître – fut trucidé par un sanglier. Les Hindous vénèrent le boeuf et s’abstiennent de s’en nourrir à cause d’une très ancienne croyance comparable à celle qui, en Egypte, faisait du taureau Apis une incarnation de Phtah, énergie motrice de la nature. D’ailleurs, la possession du mana donnant à l'homme adresse et puissance, il faut bien reconnaître que certains animaux en sont mieux dotés que lui-même puisque leur rapidité est plus grande, l’acuité de leur vision plus parfaite, leur force plus considérable, leur faculté de nager ou de ramper supérieure à la sienne. Pourquoi une société ne bénéficierait-elle point de leur influence salutaire en les adoptant pour "totems" comme elle profite du fluide qui émane de ses chefs ? L’Egypte ancienne était divisée en nomes. Il y avait celui de la Gazelle, du Lièvre, des Deux Eperviers, du Serpent. Il y avait aussi d’ailleurs celui du Couteau, du Mur Blanc, du Reliquaire, de la Cuisse, de l’Occident, toutes entités dont le pouvoir ésotérique est évident. En effet, le couteau donne la mort, le mur blanc réfléchit la lumière et la chaleur du dieu Râ, le reliquaire contient la dépouille irradiante de mana d’un puissant ancêtre, la cuisse est le symbole même de la fécondité et l’occident, l’inconnu sombre, séjour des trépassés, qui chaque soir engloutit le soleil. Mais le totem est surtout l’animal ou la plante qui assure la vie matérielle de la communauté. Comme tel et afin de se le concilier on lui rend un culte, on le consomme rituellement en des repas pris en commun auxquels on invite son effigie, sa tête, sa dépouille. On finit par le considérer comme le grand ancêtre, ce qui implique une telle parenté entre les membres du clan qu’ils ne peuvent plus convoler entre eux. La règle des sociétés totémiques a été et reste l’exogamie. Par une pente insensible l'homme passa normalement du concept de mana et des cultes totémiques à l’animisme, c'est-à-dire à la croyance en des esprits qui habitent les entités perceptibles surtout quand elles sont redoutables et au naturisme qui déifie le ciel, le soleil, la lune, les montagnes. Ces religions furent celles des hordes qui chassaient et pêchaient et à qui la recherche incessante et hasardeuse de la nourriture ne laissait que trop peu de temps pour penser et s’éduquer. Avec l’apparition de la vie sédentaire et de l'agriculture naissent d’autres rites, ceux de la fécondité, qui assurent les récoltes. Il faut contraindre les phénomènes météorologiques à les rendre abondantes par des manifestations ordonnées, à ne point les détruire par d’intempestives violences. Entre le labour et la moisson, l’homme qui vit de réserves a désormais le loisir de méditer et comme ses facultés imaginatives, à l’instar de celles de l’enfant. sont très vives, il concevra, d’abord les grandes Mères, dispensatrices de la vie et de la Prospérité puis la fabuleuse et attachante splendeur des Mythes et de la Mythologie qui découleront de sa connaissance propre et de sa glorification. Pourtant et quelque soit l’ingéniosité, le symbolisme, l’anthropomorphie, l’éthique et la spiritualité des systèmes religieux nouveaux qu’il adoptera, rien de son héritage métaphysique ne sera abandonné. La croyance au mana ou à d'autres forces spirituelles de même nature, à la puissance de la magie, du rite et du sacrifice, les tabous et les interdictions, le culte rendu à certains animaux, la foi aux influences occultes et astrales persisteront sous des formes diverses. Les grandes religions prophétiques de type universel, le Judaïsme, le christianisme et l’Islam, actuellement pratiquées par les Méditerranéens, n'ont pu, elles-mêmes, s'en libérer. LA MYTHOLOGIE BABYLONIENNE
Les monuments les plus anciens dont nous avons retrouvé la trace, s'élevaient en Mésopotamie il y a cinq mille ans. Dès cette époque, le pays situé entre Tigre et Euphrate où la Bible place le premier séjour de l'homme, jouissait donc d’une civilisation municipale hautement développée. Mais les archéologues ont découvert que, plus anciennement encore, des sédentaires laboureurs, pâtres et pêcheurs qui ne savaient construire que des cases d’argile honoraient, en Chaldée, une divinité masculine,Tammouz, dont le véritable nom sumérien était Doumou-zi-Abzou, le Fils fidèle de l'Océan. Tammouz n’était d’ailleurs que la transformation d’une déesse plus vénérable encore et incontestablement chtonienne la Mère couleuvre Ama Ousoumgal, Ama signifiant mère et Ousoumgal, le serpent. Doumou-zi-Abzou apparut, sans doutes après l’immigration des Sumériens en Babylonie et comme dieu de la végétation, fils du maître de l’eau Ea dont le grand Océan souterrain, l'Abzou, donnait naissance à toutes les sources. Lorsque les Sumériens occupèrent la Chaldée, ils entrèrent en contact avec les gens d’Akkad, sémites habitant la partie septentrionale de la plaine fertile et qui vénéraient une déesse-mère et son fils, ce dernier représentant la verdure naissante. Chaque été, lorsque les rayons brûlants du soleil avaient desséché la terre, on pleurait bruyamment sa mort. Ce jeune dieu était appelé simplement " Adon ", le Seigneur et fut bientôt assimilé à Tammouz, lequel devint le fils-amant de la grande déesse de la fécondité Ishtar. Les mythes rapportaient l’histoire de sa mort en pleine vigueur et du morne voyage qu’il accomplit aux demeures souterraines, accompagné par les lamentations des humains. Tammouz-Adon devint l’Adonis de la mythologie grecque, un bel enfant, aimé par Aphrodite qui le confie, enfermé dans un coffret, à Perséphonê, reine des Enfers. L’ayant découvert, celle-ci est frappée par sa beauté et se refuse à le restituer à la déesse de l’amour et de la fécondité qui descend alors, elle-même, au séjour des morts pour le racheter. Mais aucun marché ne peut être conclu et Zeus, grand arbitre, décide qu’Adonis séjournera six mois par an sous terre et six mois dans le monde supérieur. Finalement il est tué par le jaloux Arès, métamorphosé en sanglier. Aphrodite éclate en sanglots, les hommes et les dieux se lamentent et clament leur douleur, tandis que du sang répandu naît la rouge anémone. On ne sait trop comment il ressuscitait, mais les rites observés à l’occasion de la fête d’Adonis permettent cependant certaines déductions. On offrait à son image, étendue à coté de celle d’Aphrodite, des fruits, des fleurs et de la verdure. Après une journée de noces mystiques que les assistants consacraient à l’orgie, un cortège de femmes hurlantes, les cheveux épars et la poitrine découverte portaient l’effigie d’Adonis jusqu’au bord du fleuve ou au rivage de la mer et la précipitaient dans les flots. Le lendemain on fêtait son retour à la vie. Nous sommes donc bien là en face d’un culte agraire typique. Adon-Tammouz est la semence qu’il faut confier à la terre, laquelle brise l’enveloppe rigide qui la contient -le coffret - et la couve jalousement jusqu’à l’heure de sa germination et de son retour à l’air libre. Hélas, la sécheresse viendra bientôt mettre fin à la vie de la plante délicate et belle qui en a résulté et l’action fécondante de l’eau, seule, lui permettra, dans le cadre d’un cycle évolutif, de se perpétuer. Par des rites mimo-dramatiques on visait donc à renouveler la vie et à sauvegarder la végétation et la fertilité. Ces rites n’étaient d’ailleurs efficaces que si les participants y apportaient personnelle contribution. Lucain rapporte que les Phéniciens de Byblos, laquelle commerçait depuis fort longtemps avec l’autre Byblos d’Egypte où naquit, sans doute, le culte d’Osiris, se rasaient la tête en signe de deuil lorsqu’ils célébraient ces rites. Celles de leurs femmes qui ne voulaient point sacrifier leur chevelure se prostituaient à un étranger et convertissaient en offrande la rétribution qu’elles en recevaient. L’histoire de la Tour de Babel, rapportée par la Genèse est fort édifiante mais purement imaginaire. Les Hébreux, depuis leur origine, la dissidence d’Abraham, n’entretenaient que des rapports de mauvais voisinage avec les Babyloniens et n'eurent certainement aucun scrupule à vilainement les déconsidérer. La Tour de Babel, l’Etemenanki, dédiée au dieu Mardouk, était des"ziqqourat" mésopotamiens. Elle se composait probablement de sept étages de proportions décroissantes, reliés par des escaliers monumentaux et ornés de jardins suspendus. Ses constructeurs, montagnards émigrés, qui avaient placé la résidence de leurs dieux sur les cimes eurent le dessein d’élever dans la plaine, des temples à leur convenance afin de les y attirer. La Tour n’était d’ailleurs qu’une dépendance de la grande basilique, l'Esagil. Les Babyloniens plaçaient à l’origine des Temps, une Trinité: Apsou, Moumou et Tiâmat qui engendra un couple de dieux Lahmou et Lahamou, lesquels donnèrent naissance à Ansar et Kisar d’où descendent Ea et Anou. Mais les jeunes dieux sont bruyants, de mauvaise compagnie et les puissances originelles décident de les détruire. Apsou qui intervient le premier, succombe sous les coups d'Ea tandis que Moumou qui lui succède est capturé. La Mère des Choses, Tiâmat décide alors de se préparer au combat et elle crée de venimeux serpents, de terribles dragons, des hommes-scorpions, des monstres marins, suscite d'effroyables tempêtes. A la tête de son armée, elle place l’un de ses fils, Kingou, muni des " tablettes du destin" qui le rendent maître du monde. La troupe des dieux est alors saisie de crainte et demande au jeune Mardouk, fils d’Ea, de la sauver, mais celui-ci ne consent à devenir son champion que s’il lui est reconnu la souveraineté de l’univers. Elle lui est concédée, après boire, au cours d’un pantagruélique banquet servi dans l’oubsou-kina, la salle des destins. Alors Mardouk vole au combat, il fait vaciller l’une après l'autre les puissances divines sous l’intensité de son regard, Tiâmat, seule, lui résiste et le provoque. Il l'enserre dans un filet et en même temps déchaîne un ouragan. Tiâmat à son tour, ouvre la bouche pour 1’engloutir, mais le vent s'y engouffre et l’empêche de refermer les mâchoires, la suffoque et paralyse les mouvements de son coeur. Mardouk tire alors dans cette effrayante bouche ouverte une flèche meurtrière. Il bouscule le cadavre, s’assied dessus pour affirmer sa victoire puis le partage en morceaux pour en former le ciel et la terre. Il place les étoiles et en détermine la marche, crée les plantes et les animaux, l'homme, enfin, d’un peu d'argile humecté du sang de Kingou. En témoignage de reconnaissance les dieux offrent de lui construire une demeure où ils se reposeront tous sous son égide et munis de paniers entassent les matériaux et créent Babylone, l‘Esagil et sa tour où Mardouk renouvellera les destins et résidera avec son épouse Sarpanitou. Dans le mois de Nisan, de grandes fêtes commémoraient cette épopée qui était sensée se reproduire chaque année au moment où le renouveau triomphe de la saison hostile. Le combat de Mardouk contre les puissances des ténèbres était assimilé à sa mort et c’est après trois jours passés au tombeau dans le " bit akitou " qu’il triomphait des Enfers et ressuscitait. Ce mystère était précédé de cérémonies purificatrices, telles que des aspersions à l’eau du Tigre et de l’Euphrate, d’onctions à l’huile de cèdre, du sacrifice et de l’immersion d’un bouc émissaire, de la déposition symbolique du roi et de son rétablissement après diverses épreuves et une profession de stricte fidélité aux rites, d’une procession de dieux amenés de Borsippa, d’Ourouk, de Nippour et d'autres villes voisines. Dès le IIIème millénaire avant J.C. nous trouvons donc déjà en Babylonie autre chose qu’un culte purement agraire. L’Homme n’a point encore souci de sa destinée posthume. Il est résigné à subir la morne existence des ombres dans les régions souterraines, mais il a déjà l’ambition d’obtenir vitalité, bonheur, succès, du secours d’un dieu qui est sien, celui de sa race, de sa ville, qu’il peut capturer et retenir - L’appât disposé au plus haut de l’Etemenanki était une femme étendue sur une couche somptueuse - La divinité n'est plus une force obscure et informe. Elle est devenue anthropomorphique, donc plus accessible, plus cohérente. L’esquisse du profond mystère de la création que les révélations futures préciseront apparaît déjà. Il est question d’une Trinité, du triomphe de la Nature sur le Chaos, de la séparation du Ciel et de la Terre, du modelage de l’Homme dans le limon d’une vallée heureuse. L’eau, l’huile, l’encens, l’animal à sacrifier sont déjà employés pour les besoins du culte. Le triomphe par la mort, la mise au tombeau et la résurrection devient le grand mystère. Il n’a encore qu'une signification naturelle et sa représentation n’a pour but que de favoriser l'agriculture, mais c’est à partir de lui qu’évoluera la pensée religieuse. ( A suivre) | |
| | | ouedaggaï
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| Sujet: Re: L'évolution de la pensée religieuse chez les méditerranéens Dim 2 Juin - 22:07 | |
| L'évolution de la pensée religieuse chez les méditerranéens (suite) LA MYTHOLOGIE EGYPTIENNE
L’Egypte était, pour les Anciens, la terre de la sagesse. Lycurgue, Solon, Archimède, Platon, Euripide, Plutarque et bien d’autres s’y rendirent avec l’esprit qui mène tant d’étrangers contemporains à Paris ou, plus justement peut-être, avec celui, empreint à la fois de snobisme et de curiosité, qui incita de nombreux français à traverser la Manche à la belle époque de l’Entente Cordiale. S’il faut en croire Hérodote, les Egyptiens ont des comportements bien propres à étonner un Grec: les hommes tissent à domicile pendant que les femmes approvisionnent le ménage, les filles doivent entretenir leurs vieux parents tandis que les fils n'y sont nullement tenus, ils se soulagent à l’intérieur de leurs maisons, d’ailleurs dans des postures insolites, et prennent leurs repas dans la rue, leurs prêtres sont rasés et les gens en deuil laissent pousser leur chevelure, ils cohabitent avec leurs animaux domestiques et consomment du millet car ils considèrent comme le comble de la honte de se nourrir d’orge et de froment, ils pétrissent la pâte avec leurs pieds et l’argile avec leurs mains, boivent dans des gobelets de cuivre qu’ils rincent chaque jour, ne portent que des vêtements de lin fraîchement lavés, se circoncisent. Tant de singularités incitèrent de grands esprits à rechercher un sens profond à ce qui n’était, sans doute qu’assez prosaïque et l’Egypte en recueillit un prestige qu’accusent de nombreux témoignages, les Actes des Apôtres, les Evangiles apocryphes et une tradition vivace conservée dans les sociétés secrètes jusqu’aux temps modernes. La grande merveille de l’Antiquité est la pyramide de Choufou, de Chéops, dont le sommet s'élève à 148 mètres au dessus d’une base de 53.000 mètres carrés. On a découvert qu’en divisant le périmètre du carré de sa base par le double de sa hauteur on obtient le nombre Pi, 3,1416. Ses dimensions principales correspondent à la " section d’or ", la proportion idéale, le rapport du coté d’un pentagone régulier à sa diagonale. L’échelle de mesure employée à sa construction, l’aune-pyramide se rapproche de 25 pouces anglais et chaque coté du monument compte 365 aunes et quart soit autant que de jours solaires dans l’année sidérale. La demi diagonale de la pyramide se compare à sa hauteur comme 10 à 9 et si l’on multiplie cette hauteur par 10 à la puissance 9 on obtient la distance qui sépare le soleil de la terre soit 148 millions de kilomètres. On a même pu déduire, par d’autres rapprochements que les constructeurs de cet incomparable monument connaissaient la circonférence exacte de notre planète, son poids spécifique et avaient calculé la précession des équinoxes. Faut-il en déduire que, dès la IIIème dynastie, c’est à dire 2500 ans avant J.C., les Egyptiens possédaient une connaissance profonde qui ne pouvait s’acquérir et se transmettre qu’au sein de sociétés initiatiques très fermées. On a prétendu que celles-ci ne sont apparues qu'avec la représentation des mystères de Serapis, importés par les Ptolémées au IIIème siècle avant notre ère. Pourtant, Pythagore qui vécut deux cents ans plus tôt, étudia au pays des Pharaons et y demeura néophyte pendant vingt ans. Quoiqu’il en soit, l’apport nouveau de l’Egypte à l’évolution de la pensée religieuse est l’identification de l’humain décédé avec le dieu de la vie et par la vertu des rites funéraires, sa participation à la pérennité de celui-ci. Très vite, après la période archaïque vouée aux cultes totémiques, le mythe d’Osiris s’impose sur l’ensemble de son territoire. Osiris, Isis, Seth et Nephtys descendent de Geb, dieu de la Terre et de Nout, déesse du Ciel qui proviennent eux-mêmes de Shou et Tefnet symbolisant l’Atmosphère engendrés par Atoum, divinité locale d’Heliopolis assimilé à Râ, dieu du Soleil. Osiris et Isis s’aiment et ont des rapports dès leur existence foetale dans le sein de leur mère. Osiris parcourt la Terre pour ramener les hommes à la douceur par la force du Verbe, les chants et la musique. Mais Seth, souverain des ténèbres a résolu sa perte et prépare avec la complicité d’Aso, reine d’Ethiopie, un coffre richement orné qu’il présente au banquet des dieux, l’offrant en cadeau à qui pourra s’y allonger sans gêne. Tous tentent l’épreuve, seul Osiris s’y trouve fort à son aise. Hélas, à peine y est-il couché, les acolytes de Seth surgissent, versent sur lui du plomb fondu, scellent le coffre, le précipitent dans le Nil. Flottant entre deux eaux, le cercueil d’Osiris parvient à la mer par l’embouchure tanitique, désormais maudite, il est rejeté par la vague sur le rivage de Byblos, au pied d’un cèdre. Isis, en grande affliction parcourt le pays en quête du corps de son amant et retrouve le coffre inséré dans l’épaisseur du cèdre, qui, abattu, étaye maintenant le palais du roi. Par le fleuve, elle le transporte dans le désert et l’y cache, mais Seth, qui chasse au clair de lune, a reconnu le cadavre et le sectionne en quatorze morceaux qu’il disperse. Isis repart à la recherche de ces morceaux sur un léger esquif en papyrus. Tous sont retrouvés, à l’exception du sexe qui a été dévoré par les poissons lépidotes du fleuve. Pieusement elle en modèle alors une copie et consacre ce phallus qui sera, désormais, grandement vénéré. Pourtant, Horus, fils d’Isis qui l’a conçu en s’accroupissant, métamorphosée en épervier sur le cadavre d’Osiris, après un furieux combat avec Seth au cours duquel il perd un oeil, s’en rend maître, l’enchaîne et le livre à sa mère. Contre toute prévision, celle-ci ne le tue point et le libère. Découronnée par Horus, furieux de cette mansuétude, elle est coiffée par Thot d'une tête de génisse. L'oeil d'Horus, consommé par Osiris lui rendra la vie. Au mois de Choiak, époque où le Nil découvre les terres inondées du Delta, les Egyptiens célébraient en grande pompe ce mystère. Une effigie d’Osiris préparée avec de la terre arable mélangée de semences et d’épices était entourée de bandelettes et introduite dans un sarcophage. En processions solennelles, la foule se lamentait bruyamment pendant plusieurs jours, puis mimait, en de véritables batailles qui n’étaient pas sans dangers, le combat d’Horus et de Seth. Enfin on arrosait l’image du dieu d’eau du Nil puis on l’abandonnait à la mer chargée de le reconduire au séjour divin pendant, qu’en grande liesse on fêtait sa résurrection. Là encore nous sommes en face d’un rite agraire. Osiris est la glèbe fertile à laquelle sont confiées les semences et que, dans ce pays sans pluies, l’eau du Nil, élément vital régénérera. Dans le temple de Philae, il est représenté, couché sur une civière et des épis sortent de son corps pendant qu’un prêtre répand sur lui le précieux liquide et aussi par un arbre bourgeonnant sous 1’action d’un semblable arrosage. Mais c’est déjà un rédempteur, un apôtre de la douceur et de la persuasion, une victime propitiatoire à qui l’on ne peut imputer nulle violence. Isis est, par excellence, la déesse de la fécondité. Ce n’est point seulement " Ti anch ", la dispensatrice de la vie, mais la vie elle-même, " Anchit ". Son instinct maternel est si poussé qu’elle recueille et élève Anubis que sa soeur Nephtys a conçu des oeuvres d’Osiris et les enfants du roi de Byblos. Voilà pourquoi elle est la vache nourricière, symbole de l’abondance. Elle deviendra aux époques hellénistiques, la grande déesse mère, comme Ishtar, celle de tous les dieux et de tous les hommes. Horus, troisième membre de cette famille, de cette trinité est le dieu-fils du renouveau, celui par qui la résurrection est possible, qui vaincra les puissances maléfiques. Il s’identifie avec le Pharaon qui, dans la représentation des mystères relève, à l’aide d’une corde le "ded", l’arbre abattu représentant Osiris mort et plus tard il se confondra avec tout le peuple. Seth est le vent du Sud qui assèche le Nil et, au gros de l’été, grille la verdure. Il est aussi la puissance des ténèbres, le serpent Apap qui, dans les sables de l’Occident désolé, engloutit la lumière. Comme tel, il est encore vaincu chaque matin par Horus, dieu solaire, mais chaque soir retrouve l’avantage car Thot s’oppose à l’anéantissement de l’un ou de l’autre des adversaires. En participant à la fête du mystère, le fidèle d’Osiris, avait bien pour but, comme le Babylonien, de se concilier la clémence de la nature, mais il gagnait aussi la certitude que le dieu avait brisé les barrières de la mort et dominé les puissances du néant. Si ses funérailles étaient célébrées selon des rites identiques, il devait connaître, lui aussi, après la mort, une vie nouvelle. C’est sur ce point précis que l’Egypte concourut à l’évolution de la pensée religieuse. LA MYTHOLOGIE GRECQUE
La civilisation crétoise, sans doute matriarcale, puis l’égéenne, celle de Mycénes propagèrent dans la Grèce continentale et l’insulaire une conception mythologique basée sur le culte de la femme féconde, de la Mère. Près d’Athènes, dans l’actuelle Lefsina, jusqu’à l’invasion wisigothe de 395, jusqu’à Théodose peut-être, on célébra les mystères d’Eleusis, d’après la légende de Demeter qu’exposent les Hymnes homériques. Coré, fille de la déesse et de Zeus, voulant cueillir un narcisse dans les champs nyséens est enlevée par Hadès surgi des profondeurs souterraines. Demeter, alertée par ses cris, saisit une torche ardente et sans prendre de nourriture survole à sa recherche, pendant dix jours les terres et les mers. Enfin, ayant appris d’Helios le sort infortuné de sa fille, au comble de l’affliction, elle prend la forme d’une vieille femme et s’assied à l’ombre d’un olivier près de la fontaine d’Eleusis. Les filles de Chelios la conduisent au palais de leur père où la reine Métanire lui offre une coupe de vin qu’elle refuse. Elle accepte pourtant un mélange d’eau, d’orge et de pavot et prend soin de l’enfant royal Demophon, qu’elle nourrit secrètement d’ambroisie et soumet pendant la nuit en grand mystère aux flammes purificatrices. A Métanire effrayée qui la surprend, elle ordonne qu’on lui construise un temple où elle enseignera, elle-même ses mystères, puis disparaît. Avant même que le temple soit achevé, elle y résidera. Pourtant, le souci l'habite encore, la terre ne produit plus de grains et les dieux sont privés d’offrandes. Alors, Zeus dépêche Hermès auprès du Roi des Enfers afin de le persuader de laisser Coré revoir le monde extérieur et d’apaiser ainsi le courroux de sa mère. Hadès obtempère aux ordres du maître de l’Olympe mais il a soin de faire absorber à son épouse qui porte, désormais, dans l’Hymne, le nom de Persephone, quelques pépins de grenade, symboles de la fertilité humique, afin qu’elle ne lui soit point enlevée pour toujours. Elle reviendra donc séjourner quatre mois chaque année auprès de son ravisseur. Demeter permet alors à la végétation de reprendre son essor et regagne l’Olympe, mais avant de quitter le temple d’Eleusis elle enseigne à Chélios, Eumolpe, Dioclès et Triptolème, souverains du lieu l’art de préparer les offrandes et le culte de ses mystères qui comportent de profonds arcanes que personne ne peut révéler car la sainte terreur des choses sacrées s’y oppose. De plus, Triptolème est doté d’un char tiré par des serpents sur lequel il devra parcourir le monde pour apprendre aux hommes la culture des céréales et les convertir à la douceur des moeurs. Il appartenait aux Grecs de concevoir des thèmes d’un symbolisme aussi clair. Demeter est là encore la glèbe fertile mais que stérilise la saison brûlante, c’est aussi, lorsqu’elle se métamorphose en vieille femme, la dernière gerbe, résidence de l’esprit des moissons que l’on conserve dans le temple. Coré est la semence, c’est de plus, la provision ensilée pendant les mois d’hiver. L’enfant Demophon est le néophyte, le futur initié qu’il faut préparer par le jeûne, la purification, l’onction. A l’encontre de ce qui se passe en Babylonie et sans doute en Egypte, ne prennent part à la célébration de ces mystères que des initiés et c’est ainsi que s’introduit dans la conscience religieuse l’idée de chapelle, d’église. C’est à la possession de la Connaissance et non plus seulement au rite funéraire qu’est subordonnée l’acquisition d’une vie posthume heureuse. Un véritable enseignement est inculqué aux impétrants et aux mystes par une hiérarchie sacerdotale recrutée dans la famille des Eumolpe et des Céryces, gardiennes de la tradition. Ce sont les mystagogues, chargés de la surveillance des rites, les spondophores qui assurent les proclamations, le dadouque, porteur de torche, enfin l’hiérophante, voué au célibat et qui ne s’exprime qu’en chantant. Après un long jeûne, une série d’épreuves et des purifications, le myste est admis au grade d’épopte, à boire le "kykeon", la décoction d’orge et de pavot offerte par la reine Metanire qui permet d’entrer en contact intime avec Demeter, à manier le mystérieux objet sacré, vraisemblablement une vulve de pierre pour les initiés au second degré, un épi mûr, pour ceux qui le sont au troisième. Les fêtes ont lieu dans le mois d’anthesterion au printemps et de boedromion, à l’automne. Au culte des déesses sont associés ceux de Dionysos et des divinités épidauriennes. Aussi n’est-il pas rare que des guérisons miraculeuses se produisent au cours de leur célébration. Dans l’île de Samothrace, d’autres initiés rendaient un culte aux dieux cabires avec non moins de piété. Ils étaient réputés meilleurs et plus justes que le reste des hommes. Ainsi se fait jour l’idée que seuls ceux qui ont le coeur pur verront Dieu. C’est ce qu’exprime Platon en ces termes : " Les hommes illustres qui ont fondé les mystères, dans leur manière énigmatique, ont indiqué que celui qui se présente devant Hadès en état d’impureté et non initié demeurera embourbé,tandis que le pur, l’initié, au terme de son voyage, habitera avec les dieux. LES MYSTERES HELLENISTIQUES
La conquête de la Perse par Alexandre bouleversa complètement, les conceptions politiques et la vie religieuse du monde antique. Le Méditerranéen n'a été, jusque là que le citoyen de sa ville, il ne peut qu'obéir aux "nomos", à l'ensemble des coutumes qui cristallisent la nature particulière de cette ville et la différencient des autres. Les devoirs de chacun sont tracés, on ne peut douter des puissances divines qui protègent la communauté. La transgression d’une loi morale dans le comportement individuel ne relève que de la justice et dans la limite du tort qu'elle porte à autrui. Le péché, c'est le manquement aux obligations rituelles, le sacrilège, qui peut avoir, en irritant les dieux, les plus graves conséquences pour la collectivité. L'unification de l’Orient et de l'Occident, annoncée par la victoire de Philippe à Chéronée en 338 avant J.C., poursuivie par Alexandre et réalisée par l'Empire romain fait perdre aux homes le sentiment de tranquille sécurité dans lequel ils se sont si longuement complus. L'Asie et l'Europe se rencontrent. Des échanges de toutes natures qui résultent de cette union, naît une civilisation mixte, l'hellenistique, qui tranche les liens traditionnels et, dans la fièvre, ouvre les esprits à de nouvelles conceptions. Les phalanges du Macédonien ont découvert en Perse le Mazdéisme, la doctrine de l'Avesta, qui proclame l'existence de deux principes éternels mais opposés, Ormuzd, celui du bien et Ahriman, celui du mal. La création d'Ormuzd (Ahura Mazda) ayant été gâtée par le pouvoir néfaste d'Ahriman (Angra Mainyou), l'homme doit se mettre au service du premier et lutter contre le mensonge et l'erreur, n'avoir que de bonnes pensées, ne prononcer que de bonnes paroles, ne commettre que de bonnes actions. S'étant ainsi sanctifié, il pénétrera après son trépas dans la "demeure des chants", le " Garo-demana", sinon il sera voué à demeurer éternellement dans celle du mensonge le " Drudjo demana". Pour les sectateurs de Zoroastre, c'est le mérite personnel, dans un libre choix qui assure le salut et non plus seulement le rite funéraire ou l'acquisition de la Connaissance. Certes, les mythologies ne céderont point immédiatement devant la révélation d'une doctrine aussi dépouillée mais de nouvelles conceptions et de nouveaux mystères seront introduits en Occident, qui prépareront les voies à l'avènement du spiritualisme abstrait. Evhémère de Messène rabaisse Zeus au rang d’un prince très ancien, très instruit et très sage qui étendit sa souveraineté à la terre entière et mourut en Crète où il fut inhumé par ses fils, les Curètes, Cette doctrine constitua une base commode pour l’implantation et l’expansion du culte des souverains, rapporté d’Orient, dont bénéficièrent Alexandre, les Diadoques, ses successeurs, puis les Empereurs romains. Une autre idée religieuse, celle de la Fatalité, du Fatum, personnifiée par Tyché ou Moira se fait jour : la divinité suprême est, en dernière analyse, l’ordre universel et naturel qui détermine tout, exerce sa souveraineté d’une manière inexorable. L’assise physique de cette divinité est le plus délié de tous les éléments, l’éther, principe même du monde, loi cachée do la nature. A l’époque de l’invasion,carthaginoise, deux siècles avant J.C., Rome doit son salut à l’importation de Phrygie de la pierre noire de Pergame en qui résident les vertus de Cybèle et à l'adoption du culte de cette déesse et d’Attis. La légende d’Attis est une histoire scabreuse qui se prête mal à un récit honnête. L’intelligence de ma thèse exige pourtant qu’elle soit dévoilée. Je m’efforcerai d’être subtil, soyez indulgents. Par accident, Zeus, en proie au désir de la Grande Mère, engendre un hermaphrodite sauvage, Agditis, qui saccage les campagnes. Bacchus, chargé de le maîtriser l’enivre puis l’attache de telle façon à un pin, qu’à son réveil, il s’émascule lui-même, De son sang et de ses humeurs répandus sur le sol, naît un amandier dont l’un des fruits fécondera Nana, fille du dieu fluvial Sangarius, qui donnera ainsi naissance à Attis. Celui-ci, élevé par une chèvre, deviendra un merveilleux adolescent. Comme on célèbre ses noces avec la fille du roi de Pessinonte, Agditis réapparaît et, dans un accès de fureur, rend insensés tous les convives. Saisis de délire orgiaque, ils se mutilent cruellement. Attis, lui-même, se conduit en forcené et, finalement, meurt, après avoir, sous un pin, sacrifié sa virilité. Agditis, pris de remords, demande à Zeus de lui rendre la vie. Le maître de l’Olympe ne lui accorde que partielle satisfaction : dans le tombeau, Attis conservera éternellement sa beauté. La célébration de rites annuels rassemblait les fidèles de ce culte. Ils s’enivraient aux accents des cymbales, des flûtes et des trompes. Les cheveux au vent, la tête branlante, dans une frénésie extatique, ils se tailladaient le corps avec des tessons et des couteaux, se mutilaient à la manière d’Attis. Le sang éclaboussait les autels, les membres détachés étaient enfouis dans les chambres souterraines en vue d’offrir à la Grande Mère, leur force génératrice et de contribuer à la renaissance de la nature. Plus tard on se contenta de flagellations et d’offrir seulement en sacrifice, les génitoires des taureaux et des béliers qui servaient aux tauroboles et aux crioboles, c’est à dire au baptême des initiés par le sang. Le pin, l’arbre sous lequel était mort Attis, avait, dans la célébration de ce mystère, une haute signification symbolique. Les " dendrophores " le transportaient processionnellement, entouré de bandelettes et orné de fleurs. Mais c’est surtout par le culte de Mithra que la théologie des Perses pénétra le monde romain. Son caractère spiritualiste et militaire séduisit les légions. Initiées en Orient, elles le répandirent dans toutes les provinces ou l'orgueil national n’y mit point obstacle. Mithra, divinité archaïque des Indo-Aryens fut, dès son origine, la personnification de la Lumière. Dans l’Avesta, il est le dieu des serments et des pactes. Pourvu de mille oreilles et de mille yeux, rien ne lui échappe, nul ne peut le tromper. Il se manifeste dans le soleil et devient le grand principe de la végétation et de la fertilité. Il assure la bonne humeur, pourchasse les démons propagateurs de maladies, accorde son aide bienveillante aux hommes de bonne volonté. Après la réforme de Zoroastre, il est relégué parmi les " Yasatas " les idées personnifiées, mais l’éminence de sa nature ne tarde point à se manifester à nouveau et il redevient presque aussi vénérable qu’Ahoura Mazda, lui-même. Le jour de Mithragan, anniversaire du soleil, lui est consacré. Assimilé au dieu Shamash, après la conquête de la Babylonie par les Perses, c’est lui qui confère au roi son auréole divine. Celle-ci s’éloignant du front des usurpateurs, on comprend facilement pourquoi les diadoques, généraux et successeurs d’Alexandre, désireux de légitimer leur pouvoir, l’annexent. Sur le bord d’un fleuve, il a surgi d’une pierre tombée du ciel, coiffé du bonnet phrygien, armé d’un couteau et porteur d’un flambeau. A l’ombre d’un arbre sacré il se vêt des feuilles et se nourrit des fruits du figuier, puis il se mesure avec le Soleil et l’ayant vaincu, le dote d’un diadème rayonnant et conclut avec lui un pacte solennel de bonne amitié. Il réussit à terrasser, ensuite, un taureau sauvage que l’astre du jour, par l'entremise d’un corbeau lui demande de sacrifier. De l’épaule de l’animal blessé, sortiront les plantes utiles qui couvriront la terre. Ses vertèbres donneront naissance à la céréale, son sang se transformera en vin, breuvage mystique. Pourtant, Angra Mainyou, l’esprit du mal, veille, et désireux d’empoisonner les sources de la vie, délègue un scorpion, une fourmi et un serpent qui s’efforceront, en vain, dévorer les génitoires du taureau. La lune, saura parer aux conséquences de la destruction de cet organe, et, rassemblant le principe vital qui s’en échappe, en formera les animaux domestiques. Pendant ce temps, Ahoura Mazda crée les premiers hommes et institue Mithra leur protecteur et leur gardien. Celui-ci luttera contre le Prince des Ténèbres qui cherche à les détruire par les maladies, la famine et le déluge. D’un trait de flèche sur un roc, il fait jaillir une eau vivifiante qui redonnera la fertilité aux champs desséchés, il ordonne à un homme élu de construire une arche solide qui soustraira à la noyade, les espèces humaine et animales. Puis avec son ami le dieu solaire, il participera à un dernier repas de pain et de vin et montera au Ciel où il continue de vivre en protégeant ses fidèles des atteintes du démon. Pour le Parsi, l’adepte de Mithra, l’existence entière est un combat acharné entre les deux principes. Leur antagonisme ne cesse de se manifester et son âme est l‘enjeu de la lutte. Création d’Ahura Mazda, elle est pourtant libre de choisir sa voie mais devra rendre des comptes à l’heure du jugement. Collaborer à l'oeuvre du bien c’est participer au culte et le favoriser, entretenir le feu mystique qui détruit tout ce qui est mauvais, observer les rites purificatoires, se livrer à l’agriculture et à l’élevage, pourvoir aux besoins du pauvre, détruire les animaux nuisibles. Le labeur est, pour la première fois, assimilé au service divin, l’esprit de charité, l’énergie créatrice, la persévérance dans l’action pratique, considérées comme des vertus religieuses. Les mystères de Mithra comportaient une initiation sévère, des jeûnes, des purifications. Le baptême du sang, le taurobole, était imposé au néophyte. On lui imprimait, sur le front, la marque d’un sceau rougi au feu. Dans des grottes ou des chapelles souterraines, les fidèles se réunissaient pour psalmodier des litanies et prendre part, au son des cloches, devant l’image du dieu accomplissant son acte de rédempteur, à des agapes sacramentelles de pain et de vin. Saint Jérôme, issu d’une famille païenne d’Illyrie, province où Mithra était particulièrement honoré et qui fut peut-être, avant sa conversion, un de ses adeptes nous apprend que l’initié était successivement confirmé : corax, cryphus, miles, leo, perses, heliodromus et pater, c’est à dire corbeau, occulte, soldat, lion perse, coureur du soleil et père. L’iconographie atteste qu’il participait aux cérémonies, revêtu de dépouilles d’animaux ou de vêtements spéciaux qui symbolisaient , son grade. Les empereurs Commode, Aurélien, Dioclétien et surtout Julien l’Apostat se firent, par intérêt ou conviction, les champions du Mithracisme. La lutte de Constantin et le Licinius eut figure d’une guerre de religions : celle de Jésus contre celle de Mithra. Constantin vainquit et imposa le Christianisme, mais homme de son temps, il n’en était pas moins imbu de philosophie mithracienne et il s’assimila au Christ, comme les Perses et ses prédécesseurs s’étaient identifiés à Mithra et, fondant Byzance, capitale de la Lumière, créa l’Empire théocratique d’Orient qui, jusqu’au milieu du XVème siècle perpétua l’institution césaro-pontifique, la réunion sur la tête du souverain, désigné par la grâce, des pouvoirs spirituels et temporels. C’est encore le vieux fonds mithracien qui ressurgit dans le manichéisme et la religion des Cathares du Languedoc et il ne fallut pas moins que la conquête arabe pour annihiler le premier en Afrique et dans le Proche-Orient, 1’entente de la papauté et du pouvoir royal, soucieux d’unification nationale, jointe à la prédication patiente des Dominicains pour extirper en France, définitivement la seconde. LE JUDAISME Nous venons d’avoir un aperçu -il y aurait eu bien d’autres considérations à rapporter, mais j’ai souci de ne point lasser votre patience -, un aperçu du comportement re1igieux de l’habitant des vallées fertiles, celles de l’Euphrate, du Tigre et du Nil, des Iles de la mer Egée, des coteaux riants de l’Anatolie et de l’Attique, couverts d’oliviers, de pampres et d’herbages. L'Homme n’y peut échapper à l’emprise d'une nature féconde qui l’absorbe, l’oblige, à chacune des révolutions du soleil, à confier son sort à la bonne levée des semences. Il doit s’incorporer lui-même, par son travail et son savoir-faire, à la réalité cosmique, à la Grande Mère, au Grand Pan. De là infailliblement, son adoption d’un empyrée anthropomorphique. Par contre,l’individu ou les sociétés qui subsistent de chasse et de commerce, voire de brigandage, dans les immensités incultes, n’ont guère à attendre que de la Chance, de la chance pure et capricieuse qui postule l’idée de Fatalité et, par delà, celle d’un Maître absolu des Mondes, des êtres et des choses, qu’il faut adorer, pour le fléchir. Voilà pourquoi, la notion de Transcendance intégrale ne peut être conçue que dans le désert et par le cerveau d’hommes du désert. Les ascètes et les mystiques ont toujours recherché la solitude. J’avoue bien franchement, pour mon compte, que je ne me suis jamais senti plus à l'aise pour méditer sur les grands problèmes métaphysiques, qu'en pleine mer ou pendant de longues étapes, sous un soleil de plomb, dans les dunes arides du sud-marocain. C'était donc au désert,dans le pays de Madian, près du Sinaï, que les Hébreux devaient découvrir et adopter le culte de Yahvé, dieu unique du bédouiñ Jethro et de sa fille Sephora que Moise avait épousée lors d'un précédent exil. Ce sera dans le même désert, dix huit siècles plus tard et deux cents lieues plus au sud, que Mohamed, chamelier du Hedjaz, rénovera le même concept en proclamant l’immuabilité essentielle d'Allah. Pour comprendre la philosophie judaïque, d’importance capitale puisqu’elle servit d'assise à l’une des grandes religions prophétiques de type supérieur, le Christianisme et influença l’autre, l’Islamisme, il faut bien se pénétrer qu’Abraham, fils du Chaldéen Tharé, fut un enfant prodigue. Dans les sociétés collectivistes archaïques, il n’était de salut en dehors de la communauté. L’homme qui avait rompu avec le clan devait périr, car il était sans protection contre les forces mauvaises qui infestent le monde, ou n'avoir d'avenir qu'incertain et malheureux. En fait, Abraham, ce déraciné, est bientôt chassé de Chanaan par la famine il passe en Egypte et ne peut s’y faire adopter, ne recueille dans la vallée de Siddim que peines et déceptions, solde des pires infortunes son passage jusqu’à Mambré. Il n'a de postérité que dans l’extrême vieillesse et risque de l’anéantir de sa propre main en obéissant, peut-être par un scrupule persistant, à la vieille obligation sumérienne de l’holocauste du premier né. La vie des Patriarches, ses fils, n’est pas moins exempte de vicissitudes et ce monde voue au malheur, qui renie les dieux babyloniens ancestraux mais ne saurait mettre en doute leur réalité, allie très vite à la fierté sombre des révoltés, une philosophie pessimiste qui fait de l’homme un être déchu, en proie aux tracasseries persistantes des forces malignes et qui n’a d espoir que dans la clémence du terrible maître de l’univers, de l'Elohim des Elohim que Moise identifiera avec Yahvé, dieu du Sinaï. Aussi, bien qu’il proclame hautement l’unicité et la transcendance suprême de l’Eternel, le judaïsme est fort préoccupé d’angélologie et de démonologie. L’Ancien Testament fait mention de Seraphim, serpents à trois paires d'ailes dont la morsure est brûlante, de Sei'rim, démons velus à forme caprine, de Ciyyim qui apparaissent comme des animaux sauvages et hantent les lieux désertiques et les ruines, d’Ochim, esprits hurleurs, de Benoth ya'anah, autruches qui sont des goules voraces, de Shedim, identifiés, sans doute aux taureaux ailés gardiens des temples d’Assyrie, de Lilith, première femme d’Adam, mère d’une multitude de démons, qui tue les enfants nés de l’adultère et apparaît aux humains dans le rêve, de Satan, le grand accusateur des hommes devant Dieu mué en Sammael qui prit possession d’un serpent a forme de chameau ayant des pieds et des mains pour tenter la Femme et en Azazel vers qui on envoie le bouc émissaire. La littérature rabbinique et les Apocalypses complètent ce tableau horrifique par la description des Deber, propagateurs de maladies : Shabriri qui fait perdre la vue, Ben Nephalim, démon de l’asthme qui étrangle ses victimes, Namtar qui communique la peste ; des Keteb, qui ne font preuve d’activité qu’au milieu du jour, d’Alouqua, sangsue vorace, de Beliar, de Mastema, de Semiazas et de Satanaïl, princes du mal et chefs des anges déchus qui séduisirent les filles des hommes et les rendirent mères de géants, lesquels engendrèrent à leur tour les élémentaux. Pourtant ces mauvais anges, en face de qui se dressèrent Michel, Uriel, Raphaël et Gabriel initièrent l’humanité à l’art des enchantements, à la médecine des simples, à la fabrication des armes et des cuirasses. La plus ancienne mystique juive, la Merkaba, place, à côté des Chérubins et des Séraphins, les Hayoth, le lion, le bœuf, l'aigle et l'humain à quadruple face et munis d'ailes incorporés aux Ophanims, roues en perpétuel mouvement et serties d’yeux, qui supportent le trône de l’Eternel. Elle conçoit le Kavod, la condensation de Dieu en un nuage et la Chekhina, son habitation dans le monde, le lieu de ses manifestations. Ainsi, même dans le Mosaïsme, à coté du Créateur et de l’Ordonnateur unique, dont l’adoration exclusive est prescrite par le premier et le principal Commandement du Décalogue, une large place est faite à un monde spirituel, susceptible de se matérialiser, dont les rapports avec l’Homme sont patents, qui remplit le Ciel, la Terre et les vastes espaces qui les séparent. Une vénération extrême, véritable culte des ancêtres, est accordée aux Patriarches, aux Rois et aux Prophètes qui résident depuis leur mort dans un lieu céleste et aussi à deux hommes qui échappèrent au trépas, à Enoch, fils de Jared et père de Mathusalem " qui marcha avec Dieu et que Dieu prit ", à Elie qui fut enlevé par un char de feu. Une conception morphologique de Dieu, son apparition à certains personnages, son affirmation sensible, son intervention jalouse ou partisane, dans les querelles de peuples, sont admises. Errants sédentarisés, les Hébreux qui, rejetant la vieille religion agraire des Sémites de Mésopotamie, se firent les champions de l’henotheisme, c’est à dire n’adorèrent qu’un seul Dieu sans admettre pourtant que ce Dieu soit absolument unique ne purent donc se délivrer entièrement de l'emprise mythologique. Mais la malédiction qui semble les avoir frappé dès leur origine et les poursuivit au cours de leur Histoire, longue suite de migrations et d’asservissements, les amena à proclamer, en bons casuistes, la déchéance initiale de l’Homme et à répandre une conception nouvelle du Péché, considéré comme un manquement à une loi morale imposée formellement par Dieu, déchéance et péché qui postulent le concept de Rédemption, substance de la pensée chrétienne. (à suivre) | |
| | | ouedaggaï
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| Sujet: Re: L'évolution de la pensée religieuse chez les méditerranéens Dim 2 Juin - 22:17 | |
| L'évolution de la pensée religieuse chez les méditerranéens (suite et fin)CONCLUSION
Familiales, tribales puis nationales, les religions des premiers âges régissaient des sociétés collectivistes dans lesquelles la notion d’individualité était inconcevable. La communauté conservait un contact étroit avec son dieu et transmettait à chacun de ses membres le courant de vie de la croyance organique. Ainsi, il suffisait à l’individu de ne point se détacher de sa famille, de son clan, de sa tribu, voire de sa nation, pour participer au salut collectif. Ce n’était donc point un engagement et une action personnels, mais une stricte observance du culte qui lui était demandé, car enfreindre un tabou se libérer des pratiques consacrées pouvait mettre en péril le groupe tout entier. C’est d’abord en Egypte que le souci des destinées particulières se fera jour et sera satisfait par l’accomplissement du rite funéraire qui assurera au défunt une vie posthume heureuse. En Grèce, c'est l’initiation qui procurera l'immortalité et c’est de la réunion des initiés, de la secte, qui englobera des individus de provenance diversifiée, communiant dans une même dévotion, que naîtra le concept d’ég1ise et universalité. Désormais ce sera l’homme, pris isolément qui sera l’objet de la prédication et il faudra bien lui demander de coopérer par une action personnelle à son salut. Aux cultes agraires, de type babylonien, basés, dans un cadre municipal, sur la magie imitative, succéderont les mystères secrets, ineffables comme ceux d’Eleusis, orgiaques comme ceux d’Attis, ou hautement spirituels comme ceux de Mithra, qui recruteront leurs adeptes dans les milieux les plus divers et les feront participer par une action propre à leur efficience. Cette évolution ouvrira la voie aux grandes religions universelles de type supérieur, qui se proposeront de catéchiser l’humanité entière et par conséquent s’adresseront à l’individu, par dessus la communauté, pour lui inculquer la conscience de sa réalité particulière et lui apprendre les devoirs qui découlent de cette réalité. Les vieux thèmes, pourtant, ne seront point abandonnés. On les retrouve identiques, sous des affabulations diverses et jusque dans les mystères sacrés du Christianisme. L’idée de rénovation par le trépas l’ensevelissement et la résurrection du dieu, assimilé à la semence qui reproduira la plante après son enfouissement, apparaît avec Tammouz et Adon, se perpétue en Egypte avec l’avatar d’Osiris, en Grèce avec le mythe de Coré, dans le monde romain avec le sacrifice d'Attis et l’immolation du taureau de Mithra. C’est également par sa mort tragique, son séjour au tombeau et sa résurrection que le Christ accomplit sa tâche de Rédempteur et Pâques, la grande fête des mystères chrétiens, sera célébrée au printemps, saison du renouveau. La verdure, la fleur, l’épi, la grappe sont les attributs de Mardouk, d’Adonis, d’Osiris, de Demeter et de Mithra, dieux de la fertilité. Le Christ sera couronné d’épines, muni par dérision, pour symboliser sa puissance d’un roseau. Il consacrera, comme Mithra, le pain et le vin et les assimilera à son corps et à son sang, réunissant ainsi, en sa personne, idéalement chaste, Demeter et la céréale, principe féminin, Dionysos et la liqueur vermeille de la vigne, symbole masculin. A ce sujet, rappelons nous que Demeter, intégralement féminine, refuse la coupe de vin que lui offre la reine Métanire, mais réclame une boisson conforme à sa nature, la décoction d’orge et de pavot, le "kykeon" et ne nous étonnons point que certains Berbères, les Berghouata, adorèrent sur l’emplacement de l’actuelle Chaouia, sous le nom de Yakouch, un Dieu, qu’il est possible d’assimiler à Jésus, conçu par l’Esprit saint ou à Dionysos - Yacchos, sorti de la cuisse de Zeus. Osiris,proprement dépecé par Seth, sera reconstitué par Isis, mais perdra son sexe au bénéfice des poissons lépidotes et donc du Nil, le grand fertilisateur. Attis et ses compagnons s’émasculeront au profit de Cybèle, la Grande Mère et les initiés à son mystère l’imiteront puis se flagelleront. Ils seront baptisés, ainsi que ceux de Mithra du sang de taureaux et de béliers. Dans le prétoire de Pilate, Jésus devra subir, lui aussi, une cruelle flagellation, on le couvrira d’un manteau rouge comme le sang. L’olivier au pied duquel pleure Demeter, le cèdre qui enveloppe la dépouille d’Osiris, puis abattu, soutient le palais du roi de Byblos, qui devient le "ded" symboliquement relevé par le Pharaon, le pin d’Attis, entouré de bandelettes, processionnellement transporté, le figuier de Mithra – rappelons nous que l’Evangile maudit cet arbre - sont des préfigurations de la Croix, instrument de la Rédemption et soutien des trônes. Mardouk est le fils d’Ea, déification de l’eau, né du grand océan l’Abzou, c’est par l'eau sacrée de l’Euphrate que Tammouz et qu’Adon renaissent, par celle du Nil qu’Osiris sera régénéré, Attis voit le jour sur la rive du fleuve Sangarius et Mithra sur les bords d’une rivière de Phrygie. Avant de se révéler, le Christ devait recevoir, dans le lit du Jourdain, le baptême de Jean. L’identification de la Vierge avec Ishtar, Astarté, Demeter, Cybèle, Aphrodite et Isis, les Grandes Mères d’inspiration égéenne, deviendra si intime qu’elle conduira le monde byzantin aux excès de l’iconodulie. L’eau, l’huile, l’encens, restent purificatoires. La fleur, déposée autour de l’effigie d’Adonis et qui décorait le pin d’Attis, orne encore l’autel chrétien. Le feu, honoré des l'aube des temps, le feu sacré de Vesta, d’Hestia, des Babyloniens, des Perses et des Egyptiens, brûle toujours dans les lampes votives et par la flamme des cierges dans les synagogues, les églises et les mosquées. Quelques figures totémiques, le serpent, le boeuf et le bélier, notamment, se perpétueront avec une constance étonnante. Le Serpent est démoniaque par essence : c’est la Mère Couleuvre et l’effroyable Tiamât des Babyloniens,l’Ahriman des Perses, Sammael qui tenta la Femme et les Seraphim des Hébreux, le Python de Delphes, l'Hydre de Lerne, l'Apap des Egyptiens qui dévore le soleil et, dans une forme assimilée, la Gorgone et la Sirène, le scorpion qui parasite le taureau de Mithra, le monstre d’Hippolyte, le Léviathan de Jonas. Il est l’incarnation persistante de l’esprit du mal. L’effroi qu’il inspire - il n’est guère de légende sans Dragon - pose une ténébreuse énigme. Il ne peut guère être expliqué autrement que par le souvenir de la rencontre de nos lointains ancêtres avec les grands sauriens de l'étage jurassique. Pourtant, les géologues affirment que ces monstres disparurent bien avant la naissance de l'Homme. Faut-il admettre la possibilité d’une mémoire qui aurait franchi, dans le cadre de 1’hypothèse transformiste, les limites spécifiques ou bien que quelques brontosaures, échappés aux grands cataclysmes, aient persisté dans la faune du tertiaire ? Faut-il plutôt, comme le proposait ici, M. Jérôme Cougnard, il n’y a guère, réviser les données de la géologie ? Le bovidé, d’abord gibier précieux, puis qui, domestiqué, tracte la charrue et collabore ainsi, autant et plus que l’homme, à la grande oeuvre agricole, promu "Shedim"gardien des temples d’Assyrie, devient le divin Apis, incarnation de Phtah, énergie motrice de la nature. Après sa mort, par son assimilation avec Osiris, il se transforme en Serapis, dieu d’une bienveillance extrême qui se manifeste aux hommes dans le rêve et noue avec eux des liens intimes à l’occasion des repas sacrés. C’est la vache Hathor, demeure d’Horus, qui enfanta le monde. Sur les pentes mêmes du Sinaï, son fief, à l’heure de la révélation de la Loi, les Hébreux adorent la statue d’un veau, fondue avec l’or des bijoux de leurs femmes et de ceux qu’elles avaient emprunté à de trop confiantes voisines égyptiennes, avant la fuite. Sacrifié par Mithra, le taureau pourvoira à toutes les abondances, victime des tauroboles, son sang baptisera les néophytes, profond et ancien mystère que la tauromachie-espagnole, dont les rites sont immuables et consacrés, à l'égal de ceux d’une religion, perpétue peut-être encore, sans le savoir. Emblème de Poseïdon, il séduira, en Crête, Pasiphaë et engendrera le Minotaure. En certains lieux, pourtant, où l’élevage, du boeuf est moins répandu, on lui substitue le Bélier. C’est l’animal solaire, celui d’Amon-Ra, celui des troupeaux d’Hélios qui paissent en Trinacrie, l’Ile aux trois sommets, la Sicile. On le sacrifie à Hermès, à Attis et à Cybèle dans les crioboles. C’est la victime propitiatoire d’Abraham, - Dieu souffla dans sa corne gauche avant de promulguer le Décalogue et il embouchera, quelque jour, sa corne droite pour rassembler les douze tribus dispersées - celle qui fut consommée avant la sortie d’Egypte, celle dont le sang racheta les premiers nés d'Israël, c’est l'Agnus Dei, l’innocence et la pureté, immolées pour le salut des hommes, Jésus lui-même, c'est l’"Ahouli" que le plus humble des musulmans, parfois au prix d’un endettement, pour lui, considérable, ne saurait manquer d’égorger en offrande au Seigneur, au matin de l’Aïd El Kebir. On retrouve dans la Haggada, la Kabbale et le Zoar, les mystiques juives modernes, une adaptation des doctrines pythagoriciennes de la transmigration et des Nombres, l’assimilation de l'Homme primordial, de l’Adam Kadmon aux dix Sephieroth qui correspondent à la fois aux parties de son corps, aux chiffres de la première dizaine et aux perfections divines. L’Humanité devient ainsi la sainte Chekhina, la demeure de Dieu. Même chez ces abstracteurs, se révèle un souci certain de représentation figurative et anthropomorphique de la Divinité. Rien ne semble donc avoir été vraiment abandonné, de ce qui fut honoré. Les grands thèmes restent constants. C’est seulement la position et l’engagement de l’Homme à leur égard qui sera modifié par les mystères et les révélations. D’ailleurs, il est probable qu’aucun apostolat n’aurait pu convertir les masses païennes aux grandes religions universelles de type supérieur, s’il avait prohibé délibérément ce qui constituait le fond vivace des croyances nationales. Ce n’est pas sans raisons politiques que les Romains annexèrent tous les dieux des pays qu’ils vainquirent. L’évangélisation des Gaules a été l’oeuvre admirable de Grecs astucieux, et je ne pense point particulièrement aux Pothin et aux Denys, mais à la foule des santons dont le souvenir est encore attaché, dans nos provinces, à une fontaine miraculeuse, à une chapelle, à une forêt, à quelque modeste bourgade, à des lieux où ils parvinrent sans encombre, parce que chargés seulement d’une pacotille de colporteur et où, ils purent conter à des oreilles confiantes, à la lueur des feux du soir, les belles histoires d’Orient. L’lslam qui a rejeté tout culte liturgique et ne transige point avec l'Immuabilité et la Sérénité transcendantale, l'Islam dont l’aire d’expansion n’a d’ailleurs guère dépassé l’immense zone désertique et subdésertique de l’hémisphère nord, l'Islam, lui-même, n’a pu subjuguer les nomades qu’en admettant une antique et vivace démonologie, les populations sédentaires, qu’en tolérant bien des rites étrangers à son esprit, les confréries, véritables sociétés d’initiés dont quelques unes cultivent une mystique hautement spirituelle tandis que le comportement de certaines autres rappelle les mystères sanglants de Cybèle et d’Attis, enfin le culte des saints qui découvre curieusement et logiquement son objet dans la révérence aux docteurs, aux ascètes et aux grands soufis, tenants les plus orthodoxes de la pure doctrine abstraite. Ainsi, pour conclure en toute objectivité, car il ne saurait être question de juger ici selon les critères de la Foi, mais bien sous l'angle d’une philosophie excluant toute partialité et tout fanatisme, on peut affirmer que, dès les premières manifestations de sa vie sociale, l'Homme entrevit la Vérité et qu’il ne cessa depuis, sans jamais renier ses premiers acquis, de la découvrir davantage. L’histoire des hérésies - le mot vient du grec hairein : choisir, ou katharos : pur - montre que bien des tentatives de la piété personnelle et dépouillée contre les religions statiques, organisées et typiques des masses, furent écrasées par les inquisitions conservatrices, pourtant conscientes du contenu hautement spirituel de ces tentatives, parce que prévalut, avant tout, le souci de la préservation des acquis et celui d’éviter, par la désaffection des fidèles, la désagrégation et le schisme. Nous méprisons volontiers, mais souvent à tort, ce qu’il est commode et facile d’appeler l’idolâtrie. N’accuse-t-on pas les chrétiens de rendre un culte sacrilège aux statues qui ornent leurs églises ? Pourtant derrière les fétichismes, identiques, pour la plupart, aux religions archaïques communautaires, se cachent souvent des conceptions grandement estimables, et, pour ne prendre qu’un exemple, lorsque, l’Ifuago de Luçon invoque, sous un arbre sacré, avant d'entreprendre une démarche, le Tonnerre, l’Eclair et la Foudre à queue fourchue, la Brise fraîche, la Douceur, la Détente, l’Apprivoisement, la Concession, l’Accord parfait, la Consolation et la Bonne mesure, formes diverses et qualités de sa Providence, est-il tellement éloigné de la dévote qui récite les litanies de la Vierge près d’un bénitier et du pieux musulman qui égrène, à l’ombre d’une koubba, les quatre vingt dix neuf grains de son chapelet, correspondant aux quatre vingt dix neuf attributs d’Allah ? Il semble donc bien qu’une Vérité persistante, donc la Vérité, donc la Vie, la vie métaphysique imprégna et imprègne encore, certes à des degrés divers, toutes les croyances religieuses comme la vie physique, la vie biologique identique dans son essence bien que variable dans son potentiel et son efficience, anime toutes les espèces, des moins organisées aux plus parfaites. Telle est du moins,la conclusion qui parait résulter d’une étude comparée et impartiale des religions que pratiquèrent et pratiquent depuis soixante siècles les habitants des îles et des rivages de la Méditerranée. | |
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