(suite)
" Je crois avoir suffisamment cité des maladies infantiles, nous allons en citer quelques unes concernant les grandes personnes.
Maux de ventre et d'estomac En général, on connaissait moins à l'époque les noms de plusieurs maladies et pour dire qu'une personne est malade, on employait le terme en usage de nos jours:
« Maârf asch aândo » ! (on ne sait pas ce qu'il a).
C'est ainsi que pour toutes sortes de coliques on administrait tout d'abord un verre de vin avec une pincée de cumin pilé.
S'il s'agissait d'une colique violente au ventre, on employait le procédé suivant: on garnissait la moitié de la coque d'une noix avec du beurre salé ancien (smen el hayl), on l'appliquait sur le nombril et on l'attachait au moyen d'une toile autour du ventre en guise de pansement.
Lorsqu'on sentait le mal au dessus du ventre, c'est à dire dans la région de l'estomac, on administrait au malade dans une cuillerée à soupe un peu de cendre de charbon sur laquelle on pressait la moitié d'un citron acide, le tout à prendre à jeun. On appelait ce breuvage « Elârossa d'ermad » qui lavait, disait-on, l'estomac.
Si la colique était du côté du foie, une grande cuillerée d'huile d'olive prise le matin à jeun faisait l'affaire.
Si le mal provenait d'un état d'ivresse très accentué, un verre d'eau de vie mélangée avec du poivre et une cuillerée d'huile dissipait.
Contre l'hydropisie d'une partie du corps, on enveloppait le malade d'un emplâtre composé des feuilles pilées d'une plante appelée « Kosbor » dans un linge autour du corps. La guérison était probante, paraît-il.
Rhumatismes
Pour soigner un malade de rhumatismes, on employait plusieurs espèces de plantes, plus particulièrement « El Mikhiniza » ou verveine officinale, « El Herf » ou cressonnette, « Aânb Edib » ou de la morelle. Ces plantes pilées et appliquées sur la partie douloureuse avaient la propriété de calmer la douleur et de soulager le malade.
Les gens de la campagne indiquaient pour la guérison des rhumatismes une plante appelée « Skom » et celle appelée « El Méthnan » pour guérir des douleurs qui siégeaient dans le dos et aux côtes.
Un autre remède consistait à porter une bague de métal au petit doigt de la main. Dans d'autre cas, selon certains praticiens, le malade se fait trouer le lobe de l'oreille et y attache un anneau d'un métal plutôt en laiton.
Encore de nos jours, un Chérif de la ville de Nadroma en Algérie, passe de temps en temps à Fès et soigne de la sorte des rhumatisants qui s'adressent à lui. Il fait trouer au moyen d'un fil de cuivre très mince qu'il tire d'une bobine, le tragus de l'oreille et y fait passer un petit anneau du même fil, en prononçant quelques formules.
J'ai consulté diverses personnes qui furent soignées de leur rhumatismes de la sorte, et toutes m'ont affirmé être, les uns complètement guéris et d'autres soulagés de leurs douleurs durant plusieurs années.
Un autre remède local consiste à mélanger une demi-livre d'une plante appelée « Essertgoura » avec une demi-livre de miel, préparée en pilules à prendre pendant sept jours consécutifs. Cette plante très connue du public paraît être efficace pour les rhumatismes et autres douleurs du corps.
Pour la guérison des maladies du rein, on se servait de la plante appelée « El Halhal » ou Lavendula stoechas, en même temps que pour l'hydropisie du ventre qu'on prenait en infusion, le matin à jeun ou le soir avant de se coucher.
Sciatique Un moyen curieux se pratiquait dans le traitement de la sciatique, appelée en arabe « Bozaloom ».
A part les plantes usuelles, un habitant de Bahlil, petite ville de la région de Fès, avait la spécialité de guérir la sciatique par la formule appelée « Iktaâ el Aâr » ou couper le nerf. Ce moyen consiste à transporter le mal sur une plante.
Après avoir visité le malade, le praticien se rend à l'aube dans un champ couper une plante qu'il connaît, en prononçant la formule suivante:
« Je ne coupe pas la plante, mais je coupe le mal de X.... »
Après cette opération très simple, les douleurs, disaient les malades, cessaient et le mal disparaissait.
D'autres malades employaient du romarin appliqué en cataplasme sur la partie douloureuse. La même préparation était toujours appliquée pour les cas d'hydropisie des pieds et du talon.
La fièvre Pour calmer la fièvre d'un malade, on lui mettait sous l'oreiller une touffe d'une plante appelée « Msistro » qu'on recueillait dans le cimetière.
Une autre plante communément désignée du nom d'« Odno » servait à calmer les troubles provoqués par la fièvre. Cette plante poussait également dans le cimetière.
Les feuilles et le bois du thuya appelé en arabe « El aarâar » pris en infusion le matin guérissait la fièvre. Une expression en arabe le confirme:
« El aarâr makaykhelli hata âar » ( le thuya ne laisse aucun mal).
Les habitants de Sefrou traitaient le paludisme en administrant au malade une once de cumin pilé mélangé avec du miel à prendre chaque année à jeun et ce, pendant sept jours.
Contre la typhoïde, on préconisait une consommation suivie de pêches ; cette maladie était désignée sous le nom de « Essalma » ou le salut.
Un autre remède contre la fièvre consistait à mettre sur la tête du malade une plante « El Mkhiniza » pilée et arrosée avec de l'eau de rose ou « Maouard » et qu'on appliquait au moyen d'un mouchoir ou un autre tissu.
Un autre moyen plus curieux pour calmer ou faire baisser une fièvre violente consistait à faire mordre par le malade, l'oreille ou la queue d'un âne, et le mal parait-il se transportait à l'animal.
Mal de tête Contre la migraine ou mal de tête, on faisait usage de deux rondelles en papier bleu qu'on collait avec du mastic chauffé sur les deux tempes. Dès que le mal disparaissait, le papier tombait de lui-même. Il était rare de ne pas rencontrer chaque jour des personnes marquées ainsi de ces « rondelles bleues » collées sur les tempes.
Le mauvais oeil
Un autre fait considéré comme la cause directe de maladie, était le « mauvais oeil ».
Il était admis qu'un fort et mauvais « regard » émanant d'un individu ayant une « vue étrange », pouvait provoquer du mal à un autre individu ou objet visé: il est désigné en arabe par le terme « El Aïn ».
On croyait à l'existence de deux moyens de provoquer le mauvais œil : l'un volontaire et l'autre involontaire. Ce mal est transmis normalement par l'organe de l'oeil, d'où son nom de mauvais œil, qui est l'organe transmitif et expressif de la pensée.
Le premier provenait à la suite d'une haine entre deux individus : cette haine suivie et continue envenimait l'un contre l'autre et pouvait former une « charge » que chacun pouvait lancer à son adversaire. Il agit donc par l'une des formes de l'envoûtement de haine.
Si la personne visée est plus forte que son provocateur, le « coup » revenait à l'envoyeur: c'est le choc en retour. L'un et l'autre pouvaient être l'objet d'une attaque par le mauvais œil.
Pour l'autre moyen, on admettait aussi qu'involontairement un individu laissait échapper un « mauvais regard » ou des propos malveillants à l'encontre d'un autre individu ou d'un objet convoité.
C'est pour parer à cette éventualité que l'usage exigeait de prononcer des formules: « Tbarek Allah ! ou Belkhamsa » (que Dieu le bénisse ou le chiffre cinq, sous entendu les cinq doigts) à la vue d'une personne ou d'un objet dont on doit vanter les mérites.
Pour remédier à l'effet provoqué par le mauvais œil, on avait recours à de nombreux procédés:
En premier lieu, c'est la « mesure de l'encans » ou « Tesbir ». La personne appelée à procéder au Tesbir, prend un mouchoir ou un cache-nez dont se sert le malade; elle mesure trois empans avec la main droite et fixe la limite avec le pouce de la main gauche. Cette opération devait se répéter trois fois et si à la troisième fois, le pouce de la main droite dépasse la limite fixée, il y a « mauvais oeil »
Le praticien ou la praticienne fait un nœud dans le tissu qui a servi à l'empans et le dénoue dans la face du malade. Celui-ci commence à bailler et c'est un signe que le mauvais œil se déplace pour le quitter.
Une deuxième opération consistait à « laver les seuils » de la maison où demeurait le malade. La solution recueillie servait à laver les mains et la figure du malade qui devait boire le reste.
Si le mal persistait, on avait recours à un troisième procédé qui consistait à faire circuler en public avec des « raisins secs rouges ». Un homme portait dans sa main une assiette qui contenait des raisins secs rouges. Il circulait dans toutes les synagogues le samedi à la prière du matin: à son passage, chacun des assistants devant faire un signe de résignation en faveur du dénouement du mauvais œil. On délavait ces raisins dans un peu d'eau que l'on donnait à boire au malade.
On faisait usage d'une fumigation désignée sous le nom « Tebkhira d'El Aïn » qu'on achetait chez le droguiste.
Une autre fumigation composée en partie d'alun et de harmel ou « Esseb » et le « Harmel ».
Les malades qui en faisaient usage, croyaient voir dans la fumée qui montait du brasier, la « forme de l'oeil ».
Pour préserver un immeuble ou une entreprise du « mauvais oeil », on y faisait suspendre un fer-à-cheval. L'usage du fer-à-cheval continue à être pratiqué de nos jours.
Il ne faut pas tout de même s'imaginer qu'il n'y a que le mauvais œil, il y a aussi le bon « regard » qui agit par son influence bénéfique.
Les morsures Contre la morsure d'un scorpion ou serpent venimeux, le coiffeur pratiquait une ligature au dessus de la morsure et faisait saigner la plaie avec son rasoir.
Pour guérir la morsure d'un insecte « Bonif », on appliquait sur l'endroit mordu une dose de tabac à priser qu'on couvrait ensuite d'une grosse date miellée. Une seule femme avait la spécialité de cette médication au Mellah.
D'autres praticiens coiffeurs cautérisaient la plaie avec le fer rouge.
Voilà un autre moyen par lequel on m'avait soigné lorsque j'étais piqué à la cheville par un scorpion. J'avais à l'époque six ou sept ans. Après avoir fait saigner à l'endroit piqué, on avait égorgé et coupé en deux un poulet qu'on avait appliqué sur la plaie. La chair chaude du poulet avait absorbé le venin et le lendemain mon pied avait complètement guéri.
Pour éviter la visite désagréable du scorpion dans une demeure, on affichait à l'entrée de la chambre une feuille de papier sur laquelle figurait le dessin du scorpion et quelques formules en hébreu pour éloigner les insectes venimeux et dangereux.
Pour guérir les piqûres d'autres insectes non dangereux, guêpes ou autres et après avoir préalablement enlevé l'aiguillon, on appliquait à l'endroit, de la cendre mouillée provenant du charbon de bois. Cette réserve d'eau de cendre « El ma d'ermad » se trouvait dans toutes les maisons.
Epilepsie Une attaque d'épilepsie était considérée comme une maladie gravé, mais provoquée par les génies.
Le malade tombait par terre, souvent en pleine rue, son entourage avait peur de l'approcher, on disait alors « kabdoh ezenoun » ( les génies le possèdent).
Pour tous soins, on jetait sur lui de l'eau, une poignée de sel e ton lui mettait dans la main une clef ou un morceau de fer quelconque. Ces éléments disait-on suffiraient à éloigner de lui « ziranna de thath lard » ( nos voisins de dessous la terre) comme on désignait à l'époque, les génies.
Pour la guérison de cette maladie on avait recours au sorcier et en même temps à une femme qui s'était spécialisée dans la matière; elle savait concilier et attirer les faveurs des génies par les offrandes et les moyens suivants :
Elle préparait un repas appelé « Elabssis » en l'honneur des génies, que l'on servait à l'abattoir, lieu où se tenait l'audience des génies à minuit.
Ce repas consistait en un mélange de semoule et d'huile pour la première nuit, que la bonne femme éparpillait à côté des fontaines et des fours publics, lieux généralement fréquentés disait-on, par les génies, à partir de minuit,
On servait encore le même repas pour la deuxième nuit en y ajoutant du myrthe rouge.
La troisième nuit, on servait le même repas que le précédent, ajoutant en plus des graines de coriandre séchées, en prononçant la formule suivante : « le myrthe est pour vos hommes, les graines de coriandre pour vos enfants ».
Malgré la vulgarisation de la médecine et le nombre des médecins augmentant, ces pratiques continuaient jusqu'à ces derniers temps (certaines familles les utilisent aussi de nos jours) mais l'abattoir n'est plus dans l'état de malpropreté où il se trouvait auparavant, les rues éclairées à l'électricité, ces deux éléments propreté et lumière, éloignent la fréquence des génies de notre ville de Fès.
Maladies de la peau Nous arrivons a une médication plus sérieuse, au moyen d'une plante dont les propriétés sont reconnues par 1a médecine officielle. Cette plante est désignée par le nom de salsepareille dont les propriétés dépuratives sont employées pour la médication des maladies de la peau et de la syphillis.
Les soins consistent à suivre un régime de quarante jours qui devait être rigoureusement appliqué.
Le malade devait s'abstenir de prendre des acides ou de l'alcool et s'éloigner des fumigations de toutes sortes. Il devait s'alimenter de la viande boucanée ou « Khliâ » préparée avec du miel, de l'huile et des œufs.
La salsepareille nettoyée et pilée devait être prise chaque matin à jeun à raison d'une cuillerée à café par jour, plus une pincée à priser pour les narines.
Le traitement devait continuer une nouvelle période mais cette fois, en prenant chaque matin, la dose d'une cuillerée à café mélangée avec des clous de girofle, pilés et cuits dans du miel.
C'est ainsi qu'une femme spécialiste préparait cette médication par laquelle elle soignait ses malades.
Hydropisie Pour se soigner d'une autre maladie non moins grave, l'hydropisie, on utilisait les moyens suivants:
En premier lieu on faisait une application « d'el ouersh » délayé dans de l'eau de vie ou de l'eau de rose naturelle, sur l'endroit malade: cette médication a pour effet d'arrêter le gonflement des parties atteintes. On entourait ensuite la partie malade ou même le corps, d'un emplâtre composé de feuilles de coriandre (kosbor) pilées qui provoquait une transpiration abondante.
J'ai assisté à des cas de guérison par ce moyen.
Un autre moyen consiste à suivre un régime consistant à consommer pendant quinze jours des oignons blancs cuits ou crus pour faire disparaître l' hydropisie.
Pratique de la saignée La saignée se pratiquait de diverses formes différentes, chacune suivant le remède auquel elle était appropriée. C'est le coiffeur ou « hazam » qui exerçait cette pratique médicale.
La saignée des deux côtés de la nuque s'appelait « El Quarer ». l'instrument consiste en un appareil en fer blanc en forme de pipe. Le praticien, après avoir rasé en forme de rondelles les deux côtés de la nuque, faisait des incisions avec son rasoir, appliquait ses appareils, mettait le tube dans sa bouche et aspirait.
Dès qu'il sentait le vase plein de sang, il le retirait et enduisait l'endroit saigné d'huile pour arrêter l'hémorragie.
Cette médication avait pour but de guérir les névralgies (Edokha) et les maux de tête « Hriq Erass ».
Une deuxième forme de saignée se pratiquait dans le pli du coude et s'appelait « El fasada »; il piquait le nerf choisi au moyen d'un instrument appelé « El Mebzq ».
Cette opération servait à dégager la tension artérielle et soulager ainsi les maladies qui en dépendent.
Une troisième forme de saignée consistait à piquer l'un des nerfs du dos de la main, celui qui se dirige vers le doigt hépatique ou majeur (pour soulager le foie), ou son voisin en direction de l'annulaire pour dégager peut-être la rate ou le cœur. Il était recommandé de ne pas toucher au nerf qui va en direction du pouce car c'est très dangereux.
Cette forme de saignée s'appelait « essalmia »; le praticien mettait la maindu client dans l'eau chaude pour mieux faire ressortir les veines et piquait au moyen du même instrument « el Mbzeq » ci-dessus mentionné.
On attribuait à cette forme de saignée la guérison de la toux. Pour arrêter le sang il suffisait de verser de l'eau froide sur la main.
La quatrième forme consistait tout simplement à faire des incisions ou « Tesrit » dans les pieds, à quatre doigts au dessus de la cheville et jusqu'au genou. On adoptait ce traitement contre les douleurs des pieds et du talon.
Une autre pratique enfin, appelée « El Fuilti » consistait en l'application d'un pois chiche qu'on attachait sur l'avant-bras enduit préalablement de chaux et de savon mou pour ramollir la peau, et qu'on changeait tous les jours.
L'action du pois chiche produisait un creux dans l'avant-bras d'où se dégageait le pus qui pouvait s'accumuler dans les yeux, disait-on. Cette médication avait pour but de guérir une maladie des yeux où se formait du pus.
Une dernière forme de saignée était faite par l'application d'une hirudinée la sangsue qu'on pêchait de l'Oued el Aadam, rivière des environs de Fès.
On l'appliquait sur le mollet ou sur l'avant-bras. On la voyait se remplir de sang, prendre la forme d'une petite outre, et elle ne pouvait se détacher qu'après avoir été couverte d'une certaine dose de sel de cuisine. Cette opération servait à décongestionner les parties malades.
L'envoûtement Une autre maladie typique se révèle lorsqu'un individu, sans être malade apparemment, se sent dominé, subjugué et paraît être possédé par le fait d'un autre individu: c'est qu'il est envoûté !
Son état devient débile, son esprit n'agit plus librement et sa pensée paraît être « bloquée ».
On s'adressait dans ce cas à une praticienne pour le « dénouer de son envoûtement »; cela s'appelait « Ilhall lithqaf » ou dénouer l'aiguillette. La praticienne amenait son client devant une rivière. Elle jetait un morceau de sucre dans la rivière, en guise de salut adressé au patron invisible du lieu.
Le malade devait jeter sa chemise usagée dans l'eau de l'oued en prononçant la formule suivante:
« ce n'est pas ma chemise que je jette dans l'eau, mais le mal qui m'intrigue, la personne qui me domine, l'être qui me poursuit, etc …. »
Le malade devait se baigner dans l'oued et revêtir ensuite une chemise neuve, préalablement exposée à une fumigation au moyen d'une drogue appelée « El Fassokh » dont la signification du nom veut dire « dénouement ».
Grâce à ces opérations, l'envoûtement est dénoué, la personne se sentait dégagée de l'atmosphère qui l'oppressait et d'un joug qui la dominait.
Des faits analogues continuent de nos jours; l'amour comme la haine ne sont pas disparues et le remède n'est pas dans le bréviaire du médecin ni du pharmacien.
Médications « animales »
Dans le domaine du règne animal, on employait aussi certaines médications plus ou moins appropriées.
D'abord
la thériaque, préparation dans laquelle on mélangeait une partie de vipère pilée. On s'en servait pour guérir les malades qui soufraient de l'estomac. Pour cet organe on imaginait souvent une nourriture empoisonnée, appelée « Etâam » et dans e cas la thériaque était tout indiquée pour agir comme antidote.
On l'employait parfois contre les fièvres violentes. La dose était indiquée par le marchand herboriste qui la vendait à la Médina ou au Mellah chez un ancien droguiste.
On devait se servir de cette médication dès le début de la maladie, ce qui justifie une expression arabe qui dit « Ma za thériaq men elâariaq, hatha mol skhana math » (avant d'apporter la thériaque , du Aâriaq, le fièvreux est mort), expresssion passée en langage pour dire qu'il faut agir vite.
Pour calmer les douleurs d'estomac, on se servait du
« Bazahra » ou bézoard, désigné en arabe par le nom de « Bed el Mhor » (œuf du Mhor, antilope Mohar).
Le bazahra qui a la forme d'un œuf est une matière secrétée, disait-on par les yeux de la vipère sous forme de larmes qui s'accumulent et durcissent jusqu'à prendre la consistance d'un grand cailloux. D'autres disaient que le bazahra provenait d'une concrétion d'un animal, antilope, appelé El Mohr, comme son nom l'indique. De toutes façons, c'est une matière pierreuse, en forme d'oeuf dur, formé de plusieurs couches, de couleur jaune-pâle.
On le trouvait dans toutes les grandes familles, et on distribuait la solution préparée à qui en avait besoin. On le frottait dans le fond d'un bol en terre cuite où l'on mettait de l'eau de fleur d'oranger et on servait la solution à boire au malade.
Un autre produit de provenance animal dénommé
« El Ouersh » qu'on trouve quelquefois dans le fiel du bœuf mais surtout dans celui de la vache: c'est une concrétion en forme de pâte de couleur jaune-or foncé.
On attribuait la formation de ce produit à l'assimilation d'une plante miraculeuse que l'on appelait « Rbéhth el Kimia » ou plante de chimie, très recherchée par les alchimistes dans l'antiquité et à laquelle on attribuait la propriété de transformer les métaux en or.
On vendait ce produit, El Ouersh, à l'enchère par l'entremise d'un « dellal » ou vendeur public, qui le tenait soigneusement dans un papier au creux de sa main, exactement comme on vendait le diamant, et l'offrait à de riches amateurs qui l'achetaient pour des besoins médicaux. En effet on administrait ce produit pour relever l'état de santé des femmes en couches, assainir l'économie générale à l'allaitement, tandis que d'autres femmes s'en servait pour s'engraisser, en conformité avec la mode de l'époque.
Une autre médication de provenance animale non mois curieuse consistait en un insecte coléoptère, de l'espèce coccinelle (ne pas confondre avec la coccinelle), appelé en arabe
« hmyarth zedda » par les musulmans ou
« nana hmara » par les israélites du Maroc. On se servait de cet insecte pour guérir la jaunisse.
C'est un insecte de couleur gris-clair, herbivore, qui se roule en boule sur lui-même dès qu'on le prend en main et se déroule dès qu'il se sent en liberté. On le trouve en nombre dans le fond des feuilles d'épinard et d'artichaut (kharsoof, knaar ou médhon etc...) et on l'utilise broyé et mélangé avec du sel.
Si l'on remarque que la médecine officielle emploie actuellement l'extrait des feuilles d'artichaut pour guérir les maladies du foie, il est admissible que cet insecte qui se nourrit de la sève du fond des feuilles d'artichaut, en tire un extrait qui sans opérations de laboratoire pouvait être efficace pour certaines maladies.
Une autre médication se préparait au moyen d'un insecte coléoptère qu'on désigne à la Médina par le nom de « Khadamth el akrab » ou servante de scorpion et au Mellah par celui de « khanfosth el akrab » ou hanneton du scorpion. C'est un genre de
scarabée et, comme son nom l'indique il précède toujours l'apparition d'un scorpion.
On l'utilisait dans la préparation d'un médicament pour guérir la rétention d'urine.
Si l'on compare l'action stimulante d'un certain insecte coléoptère, la cantharide par exemple sur la vessie, il serait possible que cet insecte apparenté ait aussi une action curative sur le même organe.
Ce dernier insecte coléoptère, la
cantharide, appelé en arabe « dbanth el hand » ou la mouche de l'Inde est utilisée dans la composition des « hnot ou ras el hanot » mélange dosé de plusieurs drogues et épices que les Fassis emploient dans les mets succulents de la cuisine bourgeoise.
En médication, on l'employait dans les vésicatoires pour remplacer la moutarde, et on lui attribuait d'autres propriétés que je ne peux indiquer de peur d'être poursuivi pour exercice illégal de la médecine.
L'insecte bien connu
l'araignée dotait la médecine en famille, d'un tissu, toile d'araignée, appelée en arabe « aânkabos ou khabos » dont on se servait pour arrêter l'hémorragie des blessures que les enfants se faisaient imprudemment au cours de leurs jeux.
N'oublions pas enfin le plus intéressant des insectes,
l'abeille qui par son travail va puiser les sucs des fleurs qu'elle transforme et nous donne ensuite du miel d'abord et une matière industrielle la cire ensuite. On se servait de l'une et l'autre de ces matières en médecine.
Le miel suivant un ancien adage , c'est la santé; ceci va de pair avec le dicton arabe qui dit « le miel est remède » « el aâsla doua ».
On arrive ensuite à un paisible insecte,
la fourmi. La fourmi dont le roi Salomon avait vanté l'activité et le fabuliste La Fontaine, la prévoyance; ce petit insecte intervient dans certaine médication qui a pour but de guérir la paralysie. On se demande ce que pouvait fournir un si minuscule insecte !
La science médicale a trouvé qu'il existe dans le corps des fourmis un acide dont les propriétés curatives sont reconnues par la médecine officielle. Je veux dire l'acide formique.
La fourmi a doté ainsi la médecine d'un excellent médicament.
On savait aussi qu'à la veille d'une bataille, les guerriers des tribus mangeaient quatre fourmis chacun pour éviter que le sommeil ne les accable.`
J'ajouterais que M. le docteur Secret m'a communiqué que les voleurs à la campagne se faisaient piquer par les fourmis pour mieux courir et se sauver. "
(à suivre)